« Black music », une révolution culturelle des champs de coton aux ghettos du bronx

Joan (1ère GAE) a visionné pour vous le film documentaire « Black music. Des chaînes de fer aux chaînes en or » (1). Des origines de la musique noire américaine dans le Sud esclavagiste au gangsta rap actuel, ce documentaire est plus qu’une histoire des différents genres musicaux aux états-Unis : gospel, blues, jazz, swing, hip-hop… C’est aussi toute l’histoire du long combat pour l’émancipation des Afros-Américains dont il est question.

1865, fin de l’esclavage dans le Nord des États-Unis. C’est le début de 90 ans de ségrégation. L’abolition de l’esclavage n’est en fait qu’une illusion vu que les Noirs n’avaient pas les mêmes droits que les Blancs : bus, écoles et lieux publics réservés aux Blancs et interdits aux Noirs.

Pendant ce temps là, ils inventèrent dans les plantations de coton du Sud le blues. Puis, le jazz apparut avec ses plus grands noms, Louis Armstrong ou Duke Ellington, l’un des premiers Noirs à se produire dans un club de Blancs, l’un des plus grands clubs à cette époque, le Cotton Club. Mais, les Noirs n’avaient pas le droit d’être dans le club en tant que spectateur. C’était l’une des faces cachées de ces années Folles.

« Stange fruit, bien plus qu’une chanson de Billie Holiday : l’une des plus plus puissantes dénonciations du lynchage »

Puis, crise de 1929. Chômage, misère, la communauté noire arrête de jouer dans les clubs. À la fin des années 1930, Billie Holiday dénonce dans « Strange fruit » tout ce qui se passe dans le Sud raciste où le Ku Klux Klan, organisation d’extrême droite qui pend des Noirs aux arbres. Mais, pour oublier la crise économique, les musiciens noirs réagissent aussi avec gaieté. Ils inventent le swing qui se propage dans tout le pays.

Après la fin de la Seconde guerre mondiale, les soldats noirs américains rentrent au pays, forts de l’accueil enthousiasme de la population française qu’ils avaient reçu lors de la libération de la France. La ségrégation était toujours là jusqu’à ce qu’une jeune femme noire, Rosa Parks, refuse, en 1955, à Montgomery dans l’Alabama, de céder sa place à un Blanc dans un autobus. Manifestations, révoltes, mouvements de foule se multiplient. En 1964, les lois ségrégationnistes Jim Crow sont enfin abolies par le président Johnson. Un an avant, Martin Luther King avait prononcé son célèbre discours « I have a dream ». Le président John Kennedy avait pris alors la défense des citoyens noirs.

« L’Amérique noire des années 1960 n’écoutait plus ses chanteurs, ses avocats, ses pasteurs, elle écoutait la rue »

C’était l’époque de la Motown, la plus célèbre maison de disques américaine créée par Berry Gordy qui voulait séduire à la fois le public noir et le public blanc. C’était l’époque de Sam Cooke, le chanteur de « A Change Gonna Come » et le premier Noir à créer son propre label. La nouvelle génération noire avait désormais pour leader Malcom X. Il parlait de socialisme, de révolution. Elle n’avait maintenant que fierté et colère comme mots d’ordre. Elle ne pouvait plus attendre. Elle voulait du changement. Tout de suite ! Et cette fierté et cette colère du black power en acte aura son parrain avec James Brown et la soul musique qui se répand dans tout le pays.

Mais, le 5 avril 1968, le lendemain de l’assassinat de Martin Luther King, James Brown n’avait pas encore pris la mesure de cette rage et cette douleur du public noir lorsqu’il se produisit en concert à Boston. Plus de cent villes s’embrasèrent. La garde nationale dut intervenir. « L’Amérique noire n’écoutait plus ses chanteurs, ses avocats, ses pasteurs, elle écoutait la rue. Et la rue disait qu’elle en avait marre de la pauvreté, marre du racisme, marre de la guerre. Et la musique reprenait ce que disait la rue ». Quatre mois plus tard, James Brown enregistra « say it loud i’m black and i’m proud » (Dites-le fort, Je suis noir et je suis fier).

« Les Noirs d’Amérique ne se cachaient plus. Ils marchaient, fiers de leurs origines africaines. Partout le corps s’affichait, de plus en plus dénudé, de plus en plus libre »

Un cri repris par Jesse Jackson, ce jeune pasteur noir qui avait été le compagnon de Martin Luther King et qui rêvait de construire ce soul power, économiquement, socialement et politiquement : « Finis les oui, boss, finies les courbettes » ! Les Noirs d’Amérique ne se cachaient plus. Ils marchaient, fiers de leur couleur, de leurs origines africaines, avec leurs vêtements et leurs coiffures afro. Partout le corps s’affichait, de plus en plus dénudé, de plus en plus libre. Une liberté que Jesse Jackson résuma lorsqu’il ouvrit le festival de Wattsstax de 1972 : « Je suis peut-être pauvre mais je suis quelqu’un ! Je suis noir, beau, fier ! On me doit le respect ! ».

Mais, au milieu des années 1970, les querelles de personnes, la répression policière avaient brisé l’élan des Panthères Noires. Les militants rentraient chez eux. « Le temps était l’exaltation de la réussite individuelle, du rêve américain, un certain retour à la norme ». Certes, les premiers maires noires des villes américaines étaient élus. Mais, c’était d’abord la crise qui ravageait les communautés.

La fièvre disco, un grand mix où toute la société se retrouvait, où se mélangeaient les Noirs et les Blancs, les homos et les hétéros, les riches et les pauvres.

Et l’Amérique avait besoin d’évasion, de plaisir, de danse. Elle avait besoin de disco. La fièvre disco, un grand mix où toute la société se retrouvait, où se mélangeaient les Noirs et les Blancs, les homos et les hétéros, les riches et les pauvres.

Loin de cette fièvre du samedi soir, dans les quartiers délabrés, pourris, ravagés par la crise, les Cold Crush Brothers inventent le hip hop. Et des rappeurs de Public Ennemy comme Flavour Flave dénoncent au grand public la réalité des ghettos que le gouvernement Reagan essaie de cacher. Juste après, le groupe N.W.A insulte directement la police dans leur musique, exprimant la rage en eux.

« L’hédonisme scandaleux et bling bling du gangsta rap avec Tupac ou Snoop Doggy Dog fascinera la jeunesse du monde entier »

Mais, les années 1990-2000 n’étaient plus les années 1960-1970. De nombreux Noirs avaient accédé au succès, dans le sport, le cinéma, la politique et la majorité de la communauté profitait de l’expansion économique des années Clinton. Le temps n’était plus à la révolution mais à la réussite matérielle. Les rappeurs arrêtent leurs slogans et discours violents. « L’hédonisme scandaleux du gangsta rap avec Tupac ou Snoop Doggy Dog fascinera la jeunesse du monde entier ». L’Amérique vit se construire un nouveau mythe, le mythe du capitalisme hors-la-loi des dealers et des gangsters où le bonheur se mesurait en diamants, en billets et en filles, moulées selon les canons de l’industrie pornographique. Notorious Big était devenu le nouveau bad boy du rap. Puff Daddy et Jay-Z, nouveaux empereurs businessmen, étaient les figures de ce nouveau rap qu’on appela R’nb qui contamina toute la musique noire jusqu’aux divas, comme Beyonce, lointaines descendantes de la soul. Mais le R’nb n’avait plus grand-chose à voir avec son vieil ancêtre, le Rhythm and blues, à part réunir les filles et garçons, les Noirs et les Blancs.

« Le Dirty South conserve l’esprit originel de la musique noire »

Mais, pendant que « des empires capitalistes se construisaient sur les mouvements de hanches sensuels des poupées couleur miel du r’nb », le Dirty south, sous-genre du hip hop apparu dans le Sud des Etats-Unis, il gardait toujours vivace, dans ses sons, ses rythmes, sa sincérité, l’esprit originel de la musique noire, là où elle était née. Ce sont eux qui ont le mieux montré, jusqu’en 2005, la réalité des quartiers délabrés sans espoir, du Sud.

Joan (Première Gestion administration européenne)

Article paru dans PPL Actus numéro 1, mars/avril 2016.

(1) « Black music. Des chaînes de fer aux chaînes en or », un film documentaire réalisé en 2008 par Marc-Aurèle Vecchione.

Photo : Capture écran du documentaire précité.