Itinéraire d’un coming out en lycée pro

Au mois de février, lors retour de stage, deux élèves du lycée, Assma* et Inès, m’avait demandé si j’étais homosexuel. Jusqu’alors, je n’arrivais pas à en parler. Pour moi, vu que ce n’était pas normal d’être homosexuel, c’était logique de ne pas en parler. Pour moi, dans la logique des choses, un homme était fait pour aller avec une femme. Je me disais aussi que si les autres le savaient, ça allait tout changer. En fait, ils s’en doutaient déjà.

Je n’arrivais pas à me concentrer à l’école

Quand j’allais à l’école, c’était comme si je n’y étais pas. Je n’arrivais pas à me concentrer tellement ça me prenait la tête. Et je ne pouvais pas dire pourquoi je n’arrivais pas à me concentrer à l’école. Je savais que c’était ça mais je n’arrivais pas à le dire. Je me rendais pourtant compte qu’il fallait que j’en parle parce que je sentais que je ne pouvais pas faire autrement si je voulais me sentir mieux.

Surtout, après être parti en vacances très loin d’ici en février, je savais que je n’allais pas repartir en vacances de si tôt. Or, les vacances, pour moi, c’est le seul moment où je peux être moi-même. Je sais que les gens ne vont rien me demander. Mais, après le retour des vacances de février, j’ai attendu encore trois semaines, un mois. Entre-temps, ma tante était revenue du bled. Elle m’a alors fait la morale dans le bon sens pour m’inciter à reprendre l’école. Elle croyait que je ne voulais pas travailler à l’école alors qu’en fait je ne le faisais pas exprès. Et moi, je lui répondais que les gens n’avaient pas le même problème que moi. Du coup indirectement, elle a compris.

Plus moyen de fuir la vérité

Par ailleurs, au bout d’une semaine d’absence à l’école, ma mère n’a pas compris pourquoi je n’allais plus à l’école. Mes deux professeures d’enseignement professionnel ont appelé chez moi pour savoir pourquoi je n’allais pas en cours alors que j’allais toujours à l’école. Elles m’ont dit qu’il ne fallait pas que je ne vienne plus en cours : le bac approchait.

Quand je suis revenu en cours, j’étais un peu déboussolé, cela faisait un mois que je n’étais pas venu. La plupart des gens de la classe m’ont demandé si j’allais mieux et m’ont surtout dit que cela ne valait pas le coup de zapper maintenant. Il n’y avait aucun autre moyen de fuir la vérité.

Les meufs m’avaient déjà cramé depuis longtemps

Les élèves de la classe m’ont cramé lorsqu’on avait une évaluation avec une professeure d’enseignement professionnel. Je ne suis en effet arrivé qu’une heure après, ayant préféré en effet rester avec le prof d’espagnol. Je suis allé le voir car c’était le seul prof qui n’avait pas cours à ce moment-là et avec qui, surtout, j’étais en confiance. Il m’a alors dit qu’il ne fallait pas je me prenne la tête pour cela, qu’il y aura toujours deux trois machos dans la classe et que ce n’était pas une maladie. Et si je voyais ça comme une maladie, c’est sûr, ma vie était foutue. Après, ça m’a permis d’en parler avec les autres.

Mais les meufs, elles, m’avaient déjà cramé depuis longtemps. Assma m’avait demandé au mois de février, qu’étant donné que j’allais bientôt avoir 20 ans, quand je comptais l’avouer à mes parents alors que je ne l’avais encore dit à personne. En tout cas, leurs réactions m’ont touché. Pour elles, ça ne change rien à nos relations.

Aujourd’hui, je me sens libéré

Pour les garçons, c’est quelque peu différent. Ismaël, un élève de la classe, m’a fait des réflexions un peu désagréables mais qu’il croit marrantes. Je ne sais pas ce que cela lui procure comme sensation et ce qu’il espère faire ressentir, même si après il dit « je rigole ». Aussi, était donné sa réaction, tout porte à croire que c’était la première fois de sa vie qu’il côtoyait un homosexuel. Les autres garçons de la classe n’ont pas eu de réactions pires qu’Isamël, Et puis, il y a eu Grégoire qui a eu le seum contre moi. Mais, c’était seulement parce qu’il n’était pas la première personne à l’avoir su ! En fait, je pensais que ça allait changer quelque chose qu’ils le sachent … et ça ne change quasiment rien mise à part la réaction d’Ismaël.

Aujourd’hui, au niveau de l’école, je suis content ; je me sens libéré, il n’y a pas d’autres mots. Pour le dire à mes parents, je pense plutôt que ce moment interviendra quand ils se poseront la question du mariage. Ils vont me trouver une blédarde. C’est pour cela qu’il faut que je me barre de chez moi le plus vite possible.

Kamel

*Tous les prénoms cités ont été changés.

Article paru dans Bal’actu numéro 6, juin 2012.

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