De l’amour au parloir à la haine derrière les barreaux. Témoignage.

13 avril 2018. C’était un grand jour pour moi. J’ai vu Kaïs* pour la troisième fois. C’est dur, très dur ce monde de l’univers carcéral. Il m’a manqué, beaucoup manqué. Mais une fois arrivée là-bas, à la prison, je ne sais pas, c’est bizarre. Je ne me sens pas à ma place. Pourtant je l’aime ce type, mais pourquoi je tombe que sur ce genre de mec ? Moi qui étudie… Est-ce que c’est le quartier qui m’a fait devenir comme ça ? Mais pourquoi a-t-il fait ça ? C’est la question que je me pose depuis un moment. Ça me fait trop plaisir de voir qu’il sourit quand il me voit. On m’a toujours répété « Sab, ce mec-là, pourrait donner sa vie pour toi ». Je le vois 45 minutes. C’est court, mais c’est drôle. C’est triste, mais c’est bien.

Ma réaction, quand j’ai fait ma demande de parloir ? La peur en attendant la réponse, l’appréhension.  C’est dur, très dur… Une fois que j’ai eu la réponse, j’étais folle de joie, heureuse, heureuse de pouvoir enfin le revoir. La dernière fois qu’on s’était vus, c’était le 16 février 2018, le jour de sa perm. Une perm ? C’est une permission de sortir une journée ou une demi-journée dehors. Il m’a serré fort dans ses bras, tellement fort qu’à ce moment-là je ne voulais plus le lâcher.

On est prêt pour aller au tribunal. Silence radio en voiture. Personne ne parle, on était tous stressés. La boule au ventre.

Ce mec-là était fou amoureux de moi depuis 2013. Essayez juste de compter 2013, 2014, 2015, 2016, 2017,2018, six ans que ce mec me déclare sa flamme ! Le 22 décembre 2017, c’est le jugement de Kaïs, Brams, Zack et Achraf. Je prends avec moi Kahina ma meilleure amie, Karim le pote de Kaïs et Karine la meuf à Brams. On est prêt pour aller au tribunal. Il est 13h quand on est sur la route. Silence radio en voiture. Personne ne parle, on était tous stressés. La boule au ventre, l’angoisse. Combien de temps vont-ils prendre vraiment ? On attend. Un, deux, trois jugements passent. Et enfin c’est le tour des quatre.

Stressée, je le regarde. Il n’osait pas me lancer un regard. C’était dur, très dur. Gorge nouée, larmes aux yeux. J’écoutais seulement les paroles de la juge. Karine, la copine de Brams, et moi avons été appelées par la juge. Elle nous a décrit une à une. Bref, Brams et Kaïs ont pris 18 mois, Zack 15 mois et Achraf était de sortie le jour même. Devinez pourquoi ? Il les a tous balancés. Rien pour lui, tout pour les autres. C’est dingue !!! Le motif de leur détention…  Ils avaient braqué et agressé pour de l’argent, ainsi que des histoires de stup… Bref quelques mois plus tard, je fais ma demande de parloir que j’ai enfin obtenue. Il a fallu après le jugement trois mois, avant de prendre la décision de le voir. J’étais perplexe, hésitante. Allais-je assumer de le voir en prison ? C’était compliqué. Mais j’ai fini par le faire…

Mon premier parloir, l’angoisse. Horrible.

23 avril 2018, cela fait maintenant 6 mois que Kaïs est en détention provisoire. Ces changements d’humeur, c’est dur à vivre. Je pense que je ne suis pas la seule à vivre ça. Souvent, les mecs en taule changent complètement. Ils deviennent nerveux, durs, souvent même, ils réfléchissent énormément se posent beaucoup de questions. Moi, j’ai le droit à des « Je ne suis pas d’humeur là, ne joue pas avec moi ; je viens de me réveiller, je suis énervé ». Alors, oui souvent, c’est très lourd, je prends énormément sur moi. C’est difficile de discuter avec une personne quand elle se renferme sur elle-même ; mais bon on fait avec.

La veille de mon premier parloir, l’angoisse. Horrible. Un stress comme si c’était la rentrée et que je ne connaissais personne. Je remercie aujourd’hui Karine, la copine de Brams, qui m’a vraiment aidée. Je suis allée seule puisque c’est long. Je vois une foule, des gens assis. Je m’assois en attendant que les surveillants arrivent.  Une fois les surveillants là, tout le monde se lève dans la foule. Je prépare ma carte d’identité, je la donne aux surveillants et je leur précise que c’est la première fois que je viens à un rendez-vous et que j’aimerais savoir comment ça se passe. Bref, ils m’expliquent vaguement et ils me donnent mon numéro de cabine, une clef de casier pour pouvoir y poser mes affaires. Je le fais, je rencontre deux filles et je leur demande des renseignements : comment ça va se passer ? Dans la cabine numéro sept, pour la première fois, je le vois arriver. Enfin ! Je le serre fort dans mes bras, on discute de tout et de rien, on rigole beaucoup. Il était vraiment content et moi aussi d’ailleurs.

Rendre visite à un détenu en prison, c’est une lourde responsabilité. Des fois on prend des risques énormes et on ne se rend pas compte car on aime.

En ce moment, je ne me sens pas très bien… J’ai le stress, la haine, la peur. Bref, cet homme je l’aime. Oui je l’aime, qui aurait pu le croire ? Après tant de temps. C’était dur pour moi en ce moment, très dur… Vous devez sûrement vous dire, mais comment ? Pourquoi ? Etc… Bah rien de spécial en fait. Quand je le vois je ne montre pas que je suis mal, je rigole avec lui. Une fois seule, je me mets à réfléchir, plus rien ne va. C’est la merde…  Enfin bon.  On est obligé de passé par plusieurs étapes.

Le 30 mai 2018, une dispute éclate entre nous. On décide de ne plus se parler pendant quelques jours… Je me pose plusieurs questions. Mes parents étaient contre cette relation du fait qu’il avait fait de la prison. Moi j’en avais marre, j’étouffais de cette relation derrière les barreaux. Il faut savoir mesdemoiselles que rendre visite à un détenu en prison, c’est une lourde responsabilité car il faut lavers ses affaires, lui faire rentrer des affaires, reprendre ses affaires sales. De plus, il me demandait de récupérer des affaires, des choses pour sa famille…  Je passais ma vie à lui rendre service, sans rien compter…Et c’est normal je l’aimais. Mais comprenez que des fois on prend des risques énormes et on ne se rend pas compte car on aime. Et quand on aime, on ne compte pas.

Il était certes en prison, mais moi j’étais enfermée à l’extérieur.

Bref, après mures réflexions, j’ai pris une décision… J’ai envoyé un message à Kaïs en lui disant que je ne pouvais plus continuer cette relation, j’ai tout arrêté. Il m’a dit que j’étais une lâche et que j’étais mauvaise… A ce moment-là j’ai clairement fait une dépression. Je ne mangeais clairement plus, je pleurais jours et nuits, je ne parlais à personne mis à part mes deux meilleures amies. C’est grâce à elles que je remonte la pente petit à petit actuellement. Je devenais folle, sachez que ça n’a pas était facile de le quitter. Mais il fallait que je me concentre sur mon avenir. Je ne pouvais pas continuer une relation avec une personne en taule, qui me brisait… Je lui en ai fait part. Vous allez surement vous demander à ce moment même, mais pourquoi tu t’es mise dans un tel état alors que c’est toi qui a pris cette décision ? Bah justement, ça n’a pas été facile pour moi… Mais je ne pouvais plus continuer à me mentir et à me voiler la face. Du coup j’ai préféré tout arrêter. En ce qui me concerne, je préfère vivre une vraie relation, avec une personne ayant une situation stable et qui ne vous fait pas galérer. La vraie question est : va-t-il changer ?

Les filles, si aujourd’hui je partage mon expérience, c’est tout simplement parce que je sais que beaucoup sont ou ont été dans le même cas que moi. Vous vous posez la question de pourquoi j’ai fait tout ça pour lui ? J’ai fait ça, parce qu’il m’a énormément aidée dans ma vie et a toujours été là pour moi lorsque j’étais mal… Aujourd’hui c’était à mon tour de l’aider.

Depuis fin septembre, j’ai repris contact avec Kaïs, il est en semi-liberté, puisqu’il a le bracelet électronique. Trois mois après sa sortie il a décidé d’aller voir ma mère, il l’a vue, il lui a parlé. Au départ, ma mère était contre cette relation, qu’elle a fini par accepter lorsqu’elle lui a parlé. Je peux vous jurer, qu’aujourd’hui il regrette d’une manière incroyable. Moi, ça reste dur, car je suis toujours autant blessée, même si j’essaye petit à petit de passer au-dessus. Il m’aime plus que tout, mais l’année que j’ai passée a été affreuse. Il a juré qu’il allait reprendre une vie correcte, nous sommes en décembre, il est toujours sous bracelet. Pour ma part, j’ai obtenu mes diplômes, je continue à étudier. Nous verrons où tout ça va nous mener. Espérons que 2019 soit meilleure, j’attends de voir comment il va se ranger et comment il va me prouver son amour.

SAB, ancienne élève du LP Paul Painlevé.

*Tous les prénoms ont été changés, y compris celui de l’auteur de cet article.

Article paru dans PPL Actus numéro 7, décembre 2018.

Photo : Capture écran du site carceropolis.fr. Photo : Atwood Jane Evelyne.