Rhadia a décidé récemment de mettre le voile. Elle nous raconte les conséquences de cette décision dans sa vie : famille, amis, entourage, lycée, etc. Être voilée en France n’est pas tous les jours facile nous dit Rhadia. Elle garde néanmoins le sourire et « s’adapte ».
Bal’actu : Peux-tu nous expliquer comment ça s’est passé ce passage au voile ?
Ce n’est pas arrivé par hasard. C’était pendant les vacances d’avril. J’ai une amie, une Française, qui devait se convertir. On a passé une semaine entière à parler religion, à lire le Coran…
Bal’actu : « Française », c’est-à-dire ?
Bah, une Française d’origine française, quoi : une blonde aux yeux verts !
Bal’actu : Une « gauloise », comme on dit.
C’est ça (rires). Avec une mère bouddhiste et tout… Et donc, au bout de cette semaine j’ai eu comme un déclic et j’ai décidé de mettre le voile. Avant cette décision, j’étais une pratiquante occasionnelle. Je priais quand ça n’allait pas. J’allais en boite de nuit, je faisais un peu n’importe quoi, comme toutes les filles… Puis est venue la prise de conscience.
Bal’actu : Donc tout ça, c’est fini !?!
Oui, et sans regrets ! Cela occupait mon esprit depuis deux ans et m’empêchait de faire mon « repentir » . Des questions du style : « comment je vais faire à la plage, « Comment je vais faire, si je ne peux plus sortir avec un mec ? « , etc. Mais le jour où j’ai pris ma décision de mettre le voile, toutes ces questions sont d’un coup devenues dérisoires.
Bal’actu : Donc plus de plages ?
Si, mais des plages privées !
Bal’actu : Et qu’en est-il du regard des gens ? A-t-il changé ?
Oui, grave ! J’ai aussi eu des problèmes avec des gens dans la rue, qui parlent ouvertement de moi : que ça les « choque », que c’est « incompréhensible »… bref sans aucune retenue. Mais c’est surtout là où je travaille le soir que ça été dur. Normalement j’enlève mon voile avant d’y arriver, mais un jour j’ai croisé ma responsable dans la rue, alors que je ne l’avais pas encore enlevé. Deux jours après, je me voyais menacer de licenciement pour « faute grave », alors que jusque-là tout se passait très bien. Ma responsable a commencé à me dire j’étais une « femme soumise »… Et cela a été le cas également avec mes collègues. Beaucoup se sont éloignés de moi. Je n’ai recommencé à travailler qu’hier : cela faisait plusieurs semaines que j’étais en arrêt-maladie. Je n’en pouvais plus du harcèlement moral. (ndlr : depuis cette innterview, Rhadia a démissionné)
Bal’actu : Et le regard des garçons, a-t-il changé lui aussi ?
Oui beaucoup ! Quand tu marches dans la rue, c’est comme si tu étais transparente. Et ils se permettent beaucoup moins de choses. Ils ne se permettent même rien du tout ! Ils sont respectueux, te parlent poliment, t’encouragent. Ce d’autant plus, que le voile exige de la personne, qui le porte, qu’elle parle elle aussi de manière contrôlée : on ne doit pas crier, on ne doit pas rigoler fort. Et puis tu dois être gentille, faire du bien autour de toi. Donc forcément, ça oblige les garçons à changer d’attitude. Mais si j’ai mis le voile, c’est avant tout pour des convictions religieuses.
Bal’actu : Quand tu dis que les garçons te respectent, tu parles de quels garçons ? Leur plaire t’intéresse-t-il encore ?
Les garçons de mon quartier, ceux que je connais depuis longtemps et qui voient que je suis passée de la fille, qui s’habille de manière provocante à la fille, qui ne cherche rien… Ça ne m’intéresse plus du tout de plaire aux garçons. Si je dois rencontrer un garçon, il est clair que ça ne se passera comme avant. Il devra être musulman et pieux je n’accepterai pas autre chose. Pas par racisme, mais parce que je veux faire les choses comme c’est écrit.
Bal’actu : Comment ta famille a-telle réagi ?
Ma mère était super-contente, même si elle n’est pas voilée et que ma famille n’a rien à voir avec le voile ! Mes parents font le ramadan, mais ils ne sont pas à fond dans la religion. Ils sont algériens, mais ils se sont vachement « françisés ». Chez moi, on peut avoir un copain, le ramener à la maison… Donc quand j’ai mis le voile, ça les a choqués, mais ça leur a fait aussi plaisir, parce que malgré tout, on partage la même religion. Ils n’y voient pas quelque chose de repoussant.
Bal’actu : Aurais-tu aurais préféré être dans une école privée musulmane où l’on peut être voilée ?
Ça ne m’aurait pas déplu d’être dans une école musulmane, de découvrir un autre enseignement. Mais la présence d’élèves non voilées ne me dérange pas, j’ai grandi au milieu de personnes sans voile. D’ailleurs, si aujourd’hui j’étais au début de ma scolarité, je serai restée à l’école publique. Même s’il y a eu la loi, qui interdit le voile, je m’adapte. Celle à qui cela ne convient pas, peut toujours changer de pays.
Bal’actu : Est-ce que tu n’aurais pas plutôt préféré que ce soit ton pays, qui change ?
Si, mais je suis réaliste.
Bal’actu : Estimes-tu néanmoins qu’il fait bon vivre en France, quand on est musulman ?
Oui, je le pense. On ne nous interdit pas d’avoir des mosquées, ni de prier dans la rue quand il n’y a pas de place… Au travail – bon, il y a des c…. partout -, mais tout de même, les choses sont facilitées pour les musulmans. Ceci dit, il y a quand même un deux poids deux mesures : quand on a une petite main de Fatma en pendentif, on nous fait un scandale, alors que quand c’est une croix, ça passe sans problème. Ça ce n’est pas normal ! Depuis un certain temps, on ne parle que de l’Islam ! Le débat récent soit-disant sur la « laïcité » était en fait un débat sur l’islam. On parle de « Liberté-égalité-fraternité » : la laïcité, c’est l’égalité des religions.
Bal’actu : Revenons à toi. Comment te sens-tu aujourd’hui ? Pleinement épanouie (avec un grand sourire) ! Grrrave ! J’ai vraiment l’impression qu’un voile est tombé ! Tout prend son sens.
Bal’actu : Est-ce que tu as des regrets par rapport à ta vie d’avant le voile ?
Ben oui, il y a plein de choses que je regrette d’avoir faites : sortir avec des garçons, par exemple. C’était tellement inutile !
Bal’actu : Mais ce ne sont pas des bons souvenirs ?
Si, bien sûr… mais là j’ai eu une prise de conscience. La seule chose qui aujourd’hui me rend heureuse, c’est de pratiquer ma religion. La religion d’abord, les amis ensuite. Avant, c’était l’inverse.
Bal’actu : Tu comprends que cette conception puisse éloigner ceux qui sont dans cette logique, « les amis d’abord, la religion ensuite » ?
Non, je ne comprends pas… enfin si, je peux comprendre parce que j’étais comme ça avant. Mais bon, s’ils veulent partir, qu’ils partent. Les meilleurs resteront : ceux qui m’acceptent comme je suis… Mais je suis toujours la même. Je rigole toujours autant.
Bal’actu : Même des blagues de cul ?
(Rire) Non… avec des garçons, ce n’est plus possible.
Bal’actu : Donc ce n’est plus tout à fait comme avant ?
Non. Effectivement, des choses ont changé : je ne fais plus la bise aux garçons, je fume beaucoup moins…
Bal’actu : Est-ce que tu n’as pas peur de devenir… un peu chiante ?
Naan… Il y a plein d’autres choses sur lesquelles on peut rigoler. Je ne fais plus la bise aux garçons., il n’y a pas mort d’homme ! Serrer la main, c’est bien aussi.
Bal’actu : Mais si l’islam interdit le contact avec les garçons, pourquoi même tout simplement ne pas leur serrer la main ?
Il ne faut pas non plus être extrémiste !
Propos recueillis par Chaima, Youssef, Ludivine et Olivier
Article paru dans Bal’actu numéro 3, mai 2011.
Photo : Marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019 à Paris.