Guerre d’Algérie : « l’école reste encore le lieu privilégié de la transmission »

Saad Chakali, assistant de conservation du patrimoine et des bibliothéques au Blanc-Mesnil (93), écrivain et auteur du site Des Nouvelles du Front, dédié à la critique intellectuelle de films, était invité à une discussion avec les terminales Vente autour de la guerre d’indépendance du peuple algérien. Une après-midi d’échanges passionnants. Compte-rendu.

Sur l’invitation du professeur de lettres et d’histoire-géographie Monsieur Guillaume Bordet, et sous couvert de son chef d’établissement Madame Bourdier, j’ai eu le plaisir d’échanger de passionnants propos avec les élèves de la classe Terminale Bac Pro Vente du LP Daniel Balavoine (92) au sujet de la guerre d’indépendance du peuple algérien. A cette occasion, je me suis présenté à eux, un DVD sous le bras, afin d’accompagner et de soutenir notre discussion commune. Il s’agissait du film intitulé La Trahison réalisé en 2005 par Philippe Faucon d’après le récit éponyme de Claude Sales rédigé en 1999.

La Trahison, un film à partir de l’histoire vraie d’un militaire français, Claude Sales

L’histoire vraie de ce militaire qui avait sous sa responsabilité à en 1960 (soit deux ans avant l’indépendance proclamée avec la signature des accords d’Evian le 19 mars 1962) quatre soldats d’origine algérienne a été l’occasion de revenir sur l’événement qui représente de la manière la plus significative la fin difficile de l’empire colonial dont avait bénéficié la France à partir de la première moitié du dix-neuvième siècle. Le cœur de la conversation aura notamment reposé sur le double sens du titre, dont la connaissance ne se fait au cours du film que de façon progressive. La trahison en question désigne-t-elle l’action prévue par ceux qui, alors dénommés « Français de souche nord-africaine » ou « Français Musulmans d’Algérie », préparaient en secret l’assassinat de leur gradé ?

Ou bien informe-t-elle des contradictions des représentants de la France coloniale qui pouvaient affirmer une chose (le discours de l’égalité pour tous sans restriction, colons et indigènes), tout en en perpétuant (souvent sans le savoir vraiment, comme c’est le cas pour le narrateur de La Trahison) une autre (soit la réalité des inégalités gravées dans les institutions et prolongées dans les pratiques) ?

A cette occasion, la distinction entre les « supplétifs musulmans » (les soldats indigènes incorporés dans l’armée française) et les « harkis » (du terme « harka » qui signifie « mouvement » – il s’agit des Algériens qui ont décidé de rejoindre le camp français dès que l’affrontement avec le Front de Libération National fut engagé le 1er novembre 1954) aura permis de dépasser certains malentendus.

Le double violence du fait colonial

A été fait le double rappel, d’abord de la violence inaugurale du fait colonial, et plus particulièrement de la colonisation de l’Algérie (entre 1830 et 1848 d’abord, ensuite jusqu’en 1870), ensuite de celle qui a accompagné la fin de la de la guerre d’indépendance des Algériens. La mention du terrible 17 octobre 1961, avec la répression en plein Paris d’une manifestation pacifiste par la police alors dirigée par le préfet Maurice Papon, a nourri certains des échanges parmi les plus émouvants de cet après-midi. La connaissance de ces faits historiques, pas si lointains pourtant, n’est pas toujours évidente et partagée (la requalification par l’Etat français des « événements » en « guerre d’Algérie » date seulement de 1999). La mémoire collective, si elle bénéfice de l’immense travail des historiens et des professeurs, souffre encore de trous noirs qui n’aident pas l’effort collectif nécessaire de transmission.

« Ne pas se plaindre mais comprendre » (Spinoza)

Cela n’a pourtant pas empêché la curiosité de faire son œuvre, d’autant plus que le désir d’apprendre et de dialogue n’a pas cessé de se manifester pendant ces trois heures de visionnement du film puis d’échanges qui auront su éviter le double écueil de la plainte victimaire, comme de la repentance : comme le disait le philosophe Spinoza, « ne pas se plaindre, mais comprendre ». En passant, on insistera également sur le fait que le cinéma ainsi que les récits de vie (comme celui de l’ancien militaire Claude Sales) peuvent fournir des ressources symboliques particulièrement intéressantes dans le cadre d’exercices pédagogiques de ce genre.

Le besoin d’apprendre des élèves issus des fractions les plus démunies

Je tiens à nouveau à remercier Monsieur Guillaume Bordet de m’avoir accordé sa confiance, les élèves de sa classe de terminale, ainsi que Madame Bourdier, et plus généralement le lycée Daniel-Balavoine de Bois-Colombes, pour m’avoir permis de vérifier deux choses, et d’en espérer une troisième. En premier lieu, affirmer que l’école demeure un lieu privilégié de transmission permettant d’entretenir le lien social à une époque où celui-ci est particulièrement malmené n’est vraiment pas un vain mot. Comme il n’est pas vain de dire à quel point les élèves issus des fractions les plus démunies de notre société ont besoin d’apprendre, même s’il faut parfois les pousser dans un sens qui ne leur paraît pas aussi naturel qu’on le voudrait. Enfin, mon espérance porte précisément sur cette génération, dont je sais qu’elle n’a pas toujours été favorisée, et dont malgré tout je veux croire qu’elle nous en apprendra autant, et même davantage, que ce que nous avons voulu, modestement, lui transmettre ce jour-là.

Saad Chakali

Co-fondateur du site consacré au cinéma Des nouvelles du Front, Saad Chakali est aussi l’auteur de deux ouvrages sur le cinéma.

Article paru dans Bal’actu numéro 6, juin 2012. Lire aussi l’article de Samir, 50 ans après, ne pas oublier la guerre pour l’indépendance de l’Algérie.

Photo : capture écran de la BO du film de Claudes Sales, La trahison.