Élève sans papiers au lycée professionnel Daniel Balavoine de Bois-Colombes (92), Dalila – c’est un pseudo – se bat pour rester en France. Accompagnée dans ses démarches par sa prof’ principale, celle-ci nous raconte la violence ordinaire que déploie l’Administration pour empêcher de régulariser cette élève. Témoignage.
Il est 13h30. Je me gare dans le parking du centre commercial d’Argenteuil. J’ai rendez-vous avec Dalila devant la sous-préfecture et nous allons déposer ensemble sa demande de régularisation. Dalila est élève chez nous depuis 2 ans, je suis son professeur principal, et bien sûr Dalila n’est pas son vrai prénom. J’ai choisi de l’appeler Dalila car j’ai toujours trouvé que c’était un beau prénom, comme un joli nom de fleur.
En France depuis plus 3 ans sans titre de séjour
Dalila est en France depuis un peu plus de 3 ans, elle vit avec sa mère et sa sœur qui comme elle n’ont pas de titre de séjour. Des « sans-pap » comme on dit. Dalila m’a très vite fait part de la situation délicate dans laquelle elle se trouvait, ce qui est assez rare pour une élève. C’est vrai après tout, il n’est pas si facile de faire confiance à un professeur qu’on connaît à peine. Mais grâce à cela, nous avons gagné du temps. J’ai fait appel réseau habituel pour constituer son dossier et appuyer ses démarches : l’ASTI (Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés) de Colombes et mes copains de RESF (Réseau Éducation Sans Frontière). Ainsi en juin 2010, nous avions déposé une première demande de régularisation à la préfecture de Nanterre. Sur le conseil de RESF, nous avions sollicité le Recteur de l’Académie de Versailles et l’Inspecteur d’Académie des Hauts-deSeine afin qu’ils appuient sa demande, avec succès. Nous avions également rédigé un courrier de soutien au nom du lycée, signé par notre Proviseure, notre CPE et moi-même. Mais la demande de Dalila avait été rejetée.
« Avec RESF, nous avons l’habitude de ne pas renoncer »
Nous recommençons un an plus tard. Avec RESF, nous avons l’habitude de ne pas renoncer et de renouveler les demandes. Dalila a déménagé, le dossier sera donc déposé à Argenteuil. Il s’est étoffé depuis du parrainage d’un élu du Conseil Régional, David Mbanza, parrain d’un autre élève du lycée.
Nous entrons dans une salle pleine à craquer où règne une chaleur étouffante. Une file d’attente qui semble interminable attire mon regard. Nous avons un rendez-vous, mais est-il possible que nous devions faire la queue comme tous ces gens ? Heureusement non, à l’accueil on nous communique le numéro du guichet : « on vous appellera, allez vous asseoir ». Nous asseoir ? Où ça ? Un monsieur me cède gentiment sa place, mais c’est parce que je suis enceinte… Je fais le point avec Dalila sur son dossier, lui rappelle ce qu’elle doit répondre à certaines questions. Nous avons préparé ensemble l’entretien, mais je préfère la faire réviser. Vieux réflexe de professeur sans aucun doute… C’est à ce moment qu’on entend le nom de Dalila. Nous nous dirigeons vers le guichet.
« On n’est pas que des profs »
Et là c’est le choc. Quinze minutes maximum, c’est le temps qu’on a consacré à Dalila, dans un brouhaha incommensurable. Quinze minutes pour statuer sur le sort d’une jeune fille, son avenir, et un tout petit bout de guichet pour étaler les éléments de son dossier. Je me présente, mais j’ai à peine le temps de parler de Dalila et de sa situation que notre interlocutrice commence à saisir tout un tas de choses sur son ordinateur. Elle réclame comme un automate des pièces que nous lui fournissons au fur et à mesure. Comme la mère de Dalila n’est pas en situation régulière, son discours devient très négatif. Je fais remarquer que si la fille, qui fait des études en France, n’est pas régularisée, la mère ne risque pas de l’être non plus. C’est le serpent qui se mord la queue… Je parviens malgré tout à mentionner que Dalila est une des 60 lycéens sans papiers parrainés par la Région et montre le certificat de parrainage, en précisant qu’une copie se trouve dans le dossier. Le discours semble se radoucir. Mais nous arrivons au bout du temps qu’on doit consacrer à Dalila. La dame lui tend un récépissé de sa demande et lui explique que cette dernière est valable 3 mois, au bout desquels il faudra la renouveler si elle n’a pas obtenu de réponse. Dalila répond « oui, oui », mais je sais qu’elle n’a pas compris. Je lui explique la nature de ce document devant un café que nous prenons dans un calme bien apaisant.
« Ma première expérience d’accompagnatrice d’élève sans papiers »
Le soir, chez moi, je repense à ce que j’ai vécu. C’est ma première expérience d’accompagnatrice d’élève sans papiers, et elle n’a duré qu’un quart d’heure. Comment peut-on résumer une vie en quinze minutes ? Comment raconter ses espoirs en quinze minutes ? Comment fait-on pour comprendre ce qu’on nous dit quand on ne maîtrise pas le français et que tout le monde parle autour de soi ? Je me dis que Dalila a de la chance car elle est bien entourée, mais les autres, qui les épaule ? C’est très étonnant, ce que je ressens. Je ne remets pas en question mon action auprès de Dalila, mais je suis mal à l’aise à la pensée que d’autres n’ont pas de professeur, de parrain ou de Réseau derrière eux. Et j’ai un peu honte aussi. Honte que mon pays, que j’aime, ne sache pas accorder plus de quinze minutes à une jeune fille de 20 ans qui souhaite plus que tout y passer toute sa vie.
Isabelle Kergoët, professeur de lettres-histoire au lycée.
Article paru dans Bal’actu numéro 4, décembre 2011-février 2012